S’Alice Toire
6h06 6 secondes.
Je rentre.
Les mêmes lumières pâlottes jour après jour, la tapisserie craquelée, formant plusieurs couches baignées d’humidité, ça je l’avais sans doute mérité. Au fond du couloir une pendule domine la porte menant aux escaliers du premier étage.
A mon habitude après voir jeté un coup d’œil dans le couloir, je me décide à ouvrir la porte, le bruit assourdissant que celle-ci fait en s’ouvrant doit certainement avertir tout le monde de mon arrivée. Où sont mes clopes ?
J’ai besoin d’une bonne bouffée avant d’entrer…
Ca pue, en temps normal ça pue mais aujourd’hui l’odeur m’est insupportable. J’ai certainement dû oublier ces foutus tapettes à souris quelque part.
Il faut que je laisse la porte entre ouverte, histoire d’évacuer, je la bloque avec le tas de tracts qui se renouvelle tous les jours au pas de celle-ci, je baisse la tête et la fumée de ma clope collée au bec me pique les yeux… un papelard blanc vaguement déchiré attire mon attention.
Elle était d’à côté… ouais il se passe des choses bizarres ici, vingt huit chambres où se mêlent luxure et prostitution, un vaste baisodrome en général plutôt tranquille.
Mais il y a deux jours de ça une fille est morte, allez savoir je ne m’en occupe pas, les dépravés ça sent toujours les emmerdes. Faut être discret.
L’enquête a été bâclée comme ça l’est toujours dans ce genre d’affaires, une aubaine pour les vieux salauds. Suicide apparemment.
Je ne peux m’empêcher de faire le lien. Ce papier est plié en deux et quand je l’ouvre ma seule découverte est celle d’un papillon de sang. Triste insecte que voilà.
Quelle chambre c’était déjà ? Le journal, le journal… lui doit le savoir .C’est ça : « suicide d’une prostituée Rue Delphino, les agents de police ont retrouvé ce matin une jeune femme aux poignets lacérés… l’enquête n’est toujours pas terminée ». Tu m’étonnes ! Elle sera certainement vite oubliée cette enquête ! Qu’ est ce qui c’est passé ? C’est quoi la foutu explication ? Tout ce merdier me rend malade. La petite de la treize… elle est souvent là en général, elle saura quelque chose. Après avoir fait quelques va et vient dans l’hôtel j’en sais déjà plus que ce que me disait le journal, Elle s’appelait Alice, chambre huit.
Sa voisine de chambré n’a rien entendu, pas un bruit. Sans doute trop camée pour entendre quoi que ce soit, dans tous les cas le mieux est d’aller y jeter un œil soit même. Quelques pas dans le couloir rythmés par le bruit de l’aération et j’y suis déjà. Tout est nickel presque trop d’ailleurs. Ça sent la lessive et les produits toxiques à plein nez. Aucun indice à première vue, un lit deux places, table de chevet, aucune armoire ni rangements, pour finir une télévision débranchée posée sur le sol. J’ai beau passer la chambre au crible rien ne transpire…
Allez du nerf y’a bien un truc…je reste là pendant au moins une demi heure pour finalement tourner en rond. Faut que je me pose je suis déjà crevé ! Je m’assois sur le lit quand je vois passer à l’entrée la concierge de l’hôtel, je l’interpelle : « vous savez ce qui s’est passé ?
- Oui, sale histoire, ça faisait à peine deux mois qu’elle était là. On ne la voyait pas souvent vous savez.
- Et on ne vous a rien dit depuis qu’elle est là ?
- Non, si ce n’est une fois où l’on m’a répété qu’il y avait des bourdonnements provenant de sa chambre.
- Rien de plus ? Enfin… pas d’hommes pour la visiter ?
- J’ai cru comprendre qu’elle n’aimait pas ça...
- C'est-à-dire ?
- Elle le faisait peut être discrètement, mais je n’en ai pas vu beaucoup.
- Le soir où elle s’est tuée, rien non plus ?
- Absolument rien. Vous pensez qu’on l’a tué ?
- Je n’en sais rien…
- Qui c’est occupé d’elle quand elle est arrivée ?
- Je crois que c’est Adolphe. »
Ce vieux ripou d’Adolphe, un ami de longue date. Il s’occupe aussi du commerce, si on peut dire. Il cherche un produit le met en vente et s’occupe de la communication qui en découle. Lucratif dans tous les cas mais pas sans risques. Il me faut lui toucher deux mots. Sa planque est à deux pas d’ici, quelques minutes plus tard il s’explique : « C’est une fille qui passait par là, je lui ai donné un coup de pouce » Sur le coup Je pense qu’il ironise… C’est tout lui ça, une de plus qu’il aura poussé dans le trou me dis-je.
Il roule une clope et continu d’un ton nonchalant « Ce n’est pas la première, qu’est ce qui t’affole ? »
Pris de rage je lui réponds : « A cause de ce foutu papier, là ! » En tapant sur la table je laisse Adolphe découvrir le papier dans un fracas de tous les diables et rajoute :
« Comment je peux faire moi ?! Si toi, qui est sensé prévenir ce genre de débordement ?! T’es pas foutu de prévoir ce genre de débordement ! Tu me suis là ?! Non il a fallu que tu te plantes ! Elle était d’où cette conne ?!
- Calme toi Diego, cette petite c’est moi qui l’ai fait rentrer dans l’hôtel, ok, Mais qu’est que ce tu sais d’elle au juste ?
- Rien d’où ma surprise.
- Bah justement je n’ai rien dis pour certaines raisons.
- Voila que tu m’intéresses. »
Il allume sa clope et finit par me dire : « Elle n’a jamais tapiné cette gamine, je lui ai laissé la chambre… une sorte de transit, elle cherchait quelque chose, hé le logement c’est plus ce que c’était ! J’ai croisé son pater un jour après une petite discussion, on a trouvé un arrangement. Elle devait rester ici un petit bout de temps avant qu’ils ne trouvent autre chose, maintenant la question est réglée. Rentre tranquille, on n’est pas responsables, elle était complètement paumée de toute façon, les yeux rivés sur sa télé, ça devait arriver.
Et le papier alors !?
- Une de nos petites protégées sans doute, elles sont susceptibles les garces.
Je laisse Adolphe, rassuré je me dirige à nouveau vers la chambre de la gosse. Sentiment étrange, je ne suis pour une fois pas responsable mais la culpabilité me ronge. Je branche sa télévision, prends la télécommande, allume celle-ci avec une énième cigarette, et dans une bouffée profonde contemple la vraie coupable.